Peut-on voir en saint Sébastien le saint patron des homosexuels ? Cela semble bien difficile. Instituer l'homosexuel comme espèce est un procédé récent qui a été décrit par Foucault [1]. La création de saint Sébastien comme figure signifiante de l'homosexualité devrait donc être postérieure au 19ème siècle. Par ailleurs, notre très vénéré souverain pontife Benoit XVI proscrivant les pratiques homosexuelles et rejetant les homosexuels de ses séminaires, je vois mal comment on pourrait imaginer un saint patron protégeant un groupe social rejeté par le Vatican.
Mais qui nous empêcherait de décider qu'avec ou sans l'aval du Vatican saint Sébastien est le saint patron des gays ? Il est vrai que le saint Sébastien du Pérugin semble bien alangui pour un homme mis au supplice. La douleur est absente, le perizonium tombe bas et révèle même les premiers poils pubiens d'un saint glabre par ailleurs. Un article de Polychrome dresse une liste des positions représentées par les peintres italiens de la Renaissance (entre autres) et les connotations qu'elles suggèrent : danseur, éphèbe androgyne, rêveur... Ces peintures permettent de se faire une petite idée des représentations existantes de saint Sébastien à cette époque.
Si ces images nous paraissent chargées d'érotisme aujourd'hui, il y a pourtant un danger à reconnaître en ces saints Sébastien le saint patron des homosexuels. Il me semble que cette utilisation de peintures anciennes véhicule la confusion déjà existante entre androgynie et homosexualité. Elle superpose et confond une problématique de genre avec une problématique de sexualité. En effet ce qui nous est accessible immédiatement aujourd'hui dans les saints Sébastien du 16ème siècle, c'est le caractère souvent androgyne et parfois érotique des figures masculines. Les discours sur les sodomites au 16ème siècle en Italie [2] ne sont pas connus des spectateurs (pour le commun des mortels). Hélas, il est partout écrit et répété aux visiteurs des musées, que les saints Sébastien qu'ils ont devant les yeux sont les saints patrons des gays. La sexualité qui est alors projeté sur ces figures peintes est fausse et entretient un préjugé.
Le danger d'instituer saint Sébastien patron des homosexuels apparait alors clairement : renforcer l'idée préconçue selon laquelle l'homosexualité (moderne) est "un hermaphrodisme de l'âme" (Foucault) en présentant une homosexualité anhistorique et pathologique (comme inversion de la norme de genre) aux visiteurs des musées. Plus largement ces figures androgynes de la renaissance posent des questions sur les relations entre la grâce et le genre. Une figure masculine peut-elle être gracieuse sans qu'on la suspecte immédiatement aujourd'hui d'être androgyne? La grâce est-elle une qualité spécifiquement féminine ? A vous de vous faire votre petite idée sur la question.
[1] Michel Foucault (1976) Histoire la sexualité, 1 : la volonté de savoir
Voici un court extrait de cet opus :
"Cette chasse nouvelle aux sexualités périphériques entraîne une incorporation des perversions et une spécification nouvelle des individus. La sodomie - celle des anciens droits, civil ou canonique - était un type d'actes interdits ; leur auteur n'en était que le sujet juridique. L’homosexuel du 19ème siècle est devenu un personnage : un passé, une histoire et une enfance, un caractère, une forme de vie ; une morphologie aussi, avec une anatomie indiscrète et peut-être une physiologie mystérieuse. Rien de ce qu’il est au total n’échappe à sa sexualité. Partout en lui, elle est présente : sous-jacente à toutes ses conduites parce qu’elle en est le principe insidieux et indéfiniment actif ; inscrite sans pudeur sur son visage et sur son corps parce qu'elle est un secret qui se trahit toujours. Elle lui est consubstantielle, moins comme un péché d’habitude que comme une nature singulière. Il ne faut pas oublier que la catégorie psychologique, psychiatrique, médicale de l’homosexualité s’est constituée du jour où on l’a caractérisée – le fameux article de Westphal en 1870, sur les "sensations sexuelles contraires", peut valoir comme date de naissance - moins par un type de relations sexuelles que par une certaine qualité de la sensibilité sexuelle, une certaine manière d’intervertir en soi-même le masculin et le féminin. L’homosexualité est apparue comme une des figures de la sexualité lorsqu’elle a été rabattue de la pratique de la sodomie sur une sorte d’androgynie intérieure, un hermaphrodisme de l'âme. Le sodomite était un relaps, l'homosexuel est maintenant une espèce."
[2] Voir le mémoire de Maîtrise en histoire de l'art de Karim Ressouni-Demigneux pour une réflexion sur ces discours : "La chair et la flèche. Le regard homosexuel sur saint Sébastien tel qu'il etait representé en Italie autour de 1500"
Illustration :
Le Pérugin, "Saint Sébastien" 1500-1510. (Source, Vittoria Garibaldi: Perugino. Silvana, Milano 2004, ISBN 88-8215-813-6 via Wikimedia commons)
Mais qui nous empêcherait de décider qu'avec ou sans l'aval du Vatican saint Sébastien est le saint patron des gays ? Il est vrai que le saint Sébastien du Pérugin semble bien alangui pour un homme mis au supplice. La douleur est absente, le perizonium tombe bas et révèle même les premiers poils pubiens d'un saint glabre par ailleurs. Un article de Polychrome dresse une liste des positions représentées par les peintres italiens de la Renaissance (entre autres) et les connotations qu'elles suggèrent : danseur, éphèbe androgyne, rêveur... Ces peintures permettent de se faire une petite idée des représentations existantes de saint Sébastien à cette époque.
Si ces images nous paraissent chargées d'érotisme aujourd'hui, il y a pourtant un danger à reconnaître en ces saints Sébastien le saint patron des homosexuels. Il me semble que cette utilisation de peintures anciennes véhicule la confusion déjà existante entre androgynie et homosexualité. Elle superpose et confond une problématique de genre avec une problématique de sexualité. En effet ce qui nous est accessible immédiatement aujourd'hui dans les saints Sébastien du 16ème siècle, c'est le caractère souvent androgyne et parfois érotique des figures masculines. Les discours sur les sodomites au 16ème siècle en Italie [2] ne sont pas connus des spectateurs (pour le commun des mortels). Hélas, il est partout écrit et répété aux visiteurs des musées, que les saints Sébastien qu'ils ont devant les yeux sont les saints patrons des gays. La sexualité qui est alors projeté sur ces figures peintes est fausse et entretient un préjugé.
Le danger d'instituer saint Sébastien patron des homosexuels apparait alors clairement : renforcer l'idée préconçue selon laquelle l'homosexualité (moderne) est "un hermaphrodisme de l'âme" (Foucault) en présentant une homosexualité anhistorique et pathologique (comme inversion de la norme de genre) aux visiteurs des musées. Plus largement ces figures androgynes de la renaissance posent des questions sur les relations entre la grâce et le genre. Une figure masculine peut-elle être gracieuse sans qu'on la suspecte immédiatement aujourd'hui d'être androgyne? La grâce est-elle une qualité spécifiquement féminine ? A vous de vous faire votre petite idée sur la question.
[1] Michel Foucault (1976) Histoire la sexualité, 1 : la volonté de savoir
Voici un court extrait de cet opus :
"Cette chasse nouvelle aux sexualités périphériques entraîne une incorporation des perversions et une spécification nouvelle des individus. La sodomie - celle des anciens droits, civil ou canonique - était un type d'actes interdits ; leur auteur n'en était que le sujet juridique. L’homosexuel du 19ème siècle est devenu un personnage : un passé, une histoire et une enfance, un caractère, une forme de vie ; une morphologie aussi, avec une anatomie indiscrète et peut-être une physiologie mystérieuse. Rien de ce qu’il est au total n’échappe à sa sexualité. Partout en lui, elle est présente : sous-jacente à toutes ses conduites parce qu’elle en est le principe insidieux et indéfiniment actif ; inscrite sans pudeur sur son visage et sur son corps parce qu'elle est un secret qui se trahit toujours. Elle lui est consubstantielle, moins comme un péché d’habitude que comme une nature singulière. Il ne faut pas oublier que la catégorie psychologique, psychiatrique, médicale de l’homosexualité s’est constituée du jour où on l’a caractérisée – le fameux article de Westphal en 1870, sur les "sensations sexuelles contraires", peut valoir comme date de naissance - moins par un type de relations sexuelles que par une certaine qualité de la sensibilité sexuelle, une certaine manière d’intervertir en soi-même le masculin et le féminin. L’homosexualité est apparue comme une des figures de la sexualité lorsqu’elle a été rabattue de la pratique de la sodomie sur une sorte d’androgynie intérieure, un hermaphrodisme de l'âme. Le sodomite était un relaps, l'homosexuel est maintenant une espèce."
[2] Voir le mémoire de Maîtrise en histoire de l'art de Karim Ressouni-Demigneux pour une réflexion sur ces discours : "La chair et la flèche. Le regard homosexuel sur saint Sébastien tel qu'il etait representé en Italie autour de 1500"
Illustration :
Le Pérugin, "Saint Sébastien" 1500-1510. (Source, Vittoria Garibaldi: Perugino. Silvana, Milano 2004, ISBN 88-8215-813-6 via Wikimedia commons)
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